Prolétaires de tous les Parvis…


Cinq ans que je vais au Louvre. Pas le musée, non. Celui-là, je ne l’ai plus vu depuis dix ans. Je l’avais parcouru une fois. Sans regarder et très vite. Et une deuxième, juste très vite. Mon Louvre, il est bien plus petit, mais je m’y arrête. Pourquoi ne pas entrer. Au premier abord, ça ne paie pas de mine, c’est moche et sans personnalité. Mais c’est gratuit alors qu’ailleurs on fait la file, donc franchissons le pas de porte. Et puis, il n’y a pas de boutique souvenir à la con, avec ses t-shirts de la Joconde, ses catalogues de luxe et ses affiches pas trop chères façon “remember Boticelli dans ta chambre”. Les souvenirs, à mon Louvre, je les emporte pour rien. Et même plus petit, ses collections sont fabuleuses.

Le plus grand département : les expressionnistes. Des figures souffrantes ou souffreteuses, parfois marquées par l’alcool. Les traits sont exagérés, gonflés, boursouflés. Rouges de rage parfois. Gris de dépit souvent. L’art pauvre est également au programme avec des échafaudages faits de cartons de bières, de cuillères en alu, de vieux mégots fumés jusqu’au filtre, d’un gant délaissé, de journaux plusieurs fois relus. Enfin, on peut y admirer un peu d’avant-garde russe*, perdue parmi les masses, qui côtoie des réalistes socialistes. Les seconds n’ayant finalement pas étouffé les premiers.

Mais toutes ces oeuvres ne sont pas figées. Les statues bougent et sortent de leur torpeur. Elles tournent la tête, agitent le doigt, lèvent le coude. Plus tard, c’est tout le corps qui se mettra en mouvement. Après une bière, faut bien aller pisser.

Le Louvre, c’est mon café et celui de tout le monde. Au Louvre, on ne respire pas, on fume. On n’écoute pas de musique, on subit Joe Dassin. On ne boit pas, on aspire.

Anciens taulards reconvertis en minimexés, nouveaux minimexés pas encore taulards, minimexés et chômeurs tout court parce mon amalgame est débile. Supporters de foot quand l’Italie joue parce que le patron est originaire de la Botte. Vieux Marocains sirotant leur café. Quidams égarés qui veulent s’abriter de la pluie. Dragueurs magistraux mais gueules cassées. Galériens abrités le temps d’une nuit par le réactionnaire clos Sainte Thérèse, 50 mètres plus loin. Vendeurs sénégalais spécialisés en fausses Rolex ou en DVD hollywoodiens pirates. Colporteurs pakistanais de briquets-lampe de poche, de chapeaux de Noël à diodes clignotantes, de perroquets sur pile, de gsm-jouets.

Le Louvre, c’est le café des virés du Parvis de Saint-Gilles. Ceux qui se sont fait jeter de l’Union par le sorteur à la main lourde, parce que pas bobos. Ceux qui ont foutu le bordel au Verschueren, ceux qui n’aiment pas les changements de direction trimestriels des Brasseries du Parvis. Bref, c’est le rade de la dernière chance. Ejecté du Louvre, tu n’écluseras plus nulle part.

Mais, en vérité, je n’en ai pas encore vu un se faire virer du bistrot. Parce qu’on y est bien, qu’il fait chaud, que Joe Dassin ça fait rire, que tout le monde parle, crie, chante et boit à l’unisson. Parce que le serveur et la serveuse savent qu’il n’y a vraiment pas de raison pour foutre quelqu’un dehors.

Le Louvre, j’aime.

* Note intello : le lien renvoie vers la page Wikipedia “constructivisme”. Il ne s’agit que d’une des facettes de l’avant-garde russe.

NB : conseil musical de ce soir… ce n’est pas Joe Dassin. Mais plutôt Hallo Kosmo

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