Il y avait un je ne sais quoi de terriblement gauche et maladroit dans l’air.
D’abord avec Ségolène, dont les partisans menaçaient de manifester aujourd’hui. Non pas que la France ait remporté une deuxième fois la Coupe du Monde de football (parce que c’est bien la probabilité la plus élevée de les y voir); non pas que la crise économique frappe à la porte tel un huissier armé d’un avis de saisie du mobilier de chez Casa; non pas que les restrictions des libertés fondamentales menacent tels des juristes de Clearstream ou des policiers vichyssois; non pas que l’hypermédiatisation du nanoprésident, la répression dans les banlieues, la fascisation des esprits, les attaques du patronat,…. Non, non! il fallait manifester devant le PS pour faire revoter. Ego-lène victime d’une infamie, d’une injustice et plaidant pour plus de transparence. Aaah du beau spectacle.
Moi, j’aime bien me réveiller avec des nouvelles comme ça. Toutes nues. Qui lèvent un coin du voile bien pudique de notre particratie.
Mais elle en a encore pour longtemps la particratie.
Parce qu’après avoir bien rigolé durant toute ma journée de travail, j’ai découvert en rentrant que l’émission de La Première radio Face à l’Info était consacrée à : La gauche européenne se recompose ? (que je vous mets en conseil très… musical). Et au lu du titre, nul ne pouvait prévoir qu’ils parleraient… des blogs. N’importe quoi. Mais le plus amusant fut sans doute d’apprendre quels étaient les grands débatteurs prévus. Si ce n’est le fait que Pierre Eyben y avait sa place, écouter ce calottin-PS de Gregor Chapelle avait de quoi surprendre, surtout en ce jour de marche blanche pour sauver le Parti Socialiste français et la transparence du vote. Entre autres parce que l’intéressé s’est aussi bien perdu dans les déchirements entre tendances à la Fédération des Etudiants Francophones (voir surtout la page 25 de ce document pdf), ou encore qu’il évoque le renouveau dans un bouquin préfacé par Laurette Onkelinx. Je vous laisse le plaisir de prendre connaissance de l’émission et vous la place en bas de ce blog. Elle est également disponible via le podcast de La Première.
Moi j’aime bien me coucher en rigolant.
Et je ne vous parle pas de la diffusion prévue d’un tract tout aussi décalé du Bloc Marxiste-Léniste aux travailleurs en grève devant les portes d’UCB :-). Je dormirai bien cette nuit.
Pour ce retour sur le blog après une trop longue interruption du serveur militant (à force de laisser traîner des gremlins à côté de la bouilloire électrique, faut pas s’étonner qu’ils bousillent le matos informatique.), pour ce retour, donc, je voudrais évoquer le système des astreintes.
1. Que se passe-t-il ?
Ces dernières semaines, de nombreux secteurs professionnels, dans toutes les régions du pays auront été touchés par des grèves : le groupe Beaulieu dans le secteur textile, Ikea et Carrefour dans la grande distribution, Cytec et UCB pour la chimie / pharmacie, et une kyrielle d’opérateurs de distribution d’électricité.
Fort bien, des travailleurs défendent leurs droits. Moins positif, ces conflits fort médiatisés ont dépassé le cadre d’une opposition travailleurs-employeurs : la justice a été appelée à la rescousse par les directions et des astreintes ont été prononcées à l’encontre des grévistes.
Le droit de grève, nous le respectons, mais à la condition qu’il n’entrave pas le droit au travail disent-elles en somme. Et de recourir aux huissiers pour faire appliquer ce prétendu ((Le droit au travail est avant tout destiné à procurer le droit à tous de travailler ainsi qu’à bénéficier d’une couverture financière, le chômage, si ce n’est pas le cas Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage (art. 21 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme).)) droit au travail. Généralement, les directions passent par une requête unilatérale devant le tribunal de première instance ((quelques explications sur la structure et la procédure juridiques ici en note de bas de page)) et invoquent pêle-mêle leur droit à la liberté de travailler (elles, elles ne sont pas grévistes), leur droit à la propriété et aux valeurs qu’elles en tirent. Médiatiquement, les employeurs défendront plutôt le droit des non-grévistes à travailler ou des clients à faire leurs courses ((Voir par exemple ce qu’en dit le porte-parole de Carrefour “Waneer klanten en werknemers verhinderd worden de winkel binnen te gaan, moeten we ingrijpen”; soit “quand des clients ou des travailleurs sont empêchés d’entrer dans le magasin, nous devons intervenir”. Het Laatste Nieuws, “Personeel Ikea en Carrefour staakt”12/11/2008)). En substance, on peut faire grève mais sans gêner la bonne marche de la boutique : pas de piquet bloquant l’entrée aux non-grévistes ou entravant les livraisons, possibilité de recruter des sous-traitants pour remplacer les grévistes, etc. Toutes barrières que, pour leur part, les travailleurs grévistes utilisent pour peser économiquement sur l’entreprise et rappeler que ce sont eux les producteurs de richesse.
2. Oui mais les travailleurs non-grévistes ont “droit au travail”, quand-même ?
Oui, et non. Organisations syndicales et justice fonctionnent à deux niveaux différents, au détriment de ces premières. La justice évoque trop souvent le droit individuel à travailler, les syndicats privilégient l’aspect collectif lié à la défense des travailleurs. Ainsi, si la grève est votée en assemblée générale du personnel, parfois avec une majorité spéciale, elle devrait s’appliquer à tous, y compris à ceux qui ne veulent pas faire grève. A l’inverse, quand la grève n’est pas décidée ou que les travailleurs optent pour une reprise du travail, tous retournent au boulot, d’accord ou pas d’accord. Le constat est facile : directions et cadres supérieurs iront en justice pour pouvoir travailler et faire travailler les salariés qui le “souhaitent”. En pratique, ils veulent moins défendre le droit de leur personnel, que faire tourner leur entreprise, ne fut-ce qu’au ralenti, et continuer à engranger des rentrées financières.
3. Et on ne peut pas faire grève sans bloquer l’entreprise ?
En théorie, oui. En pratique c’est bien plus complexe. Soit 100% des travailleurs font grève, et même dans ce cas, les cadres sont réquisitionnés tandis qu’on leur adjoint des sous-traitants (ce fut le cas début octobre chez Cytec), soit ils trouvent des situations créatives qui minent la réputation de l’entreprise ou l’empêchent de tourner à plein régime : par exemple si parmi la majorité de grévistes, un service est particulièrement dur, se met complètement en grève et est difficile à remplacer. Une entreprise peut être paralysée faute de service informatique, la RTBF faute de cameramen, une raffinerie faute de personnel de contrôle. Mais ces cas sont isolés et aboutissent finalement au même résultat : priver l’exploitation de recettes en s’en privant soi-même.
Et pour rappel, la procédure de concertation sociale est telle en Belgique, qu’un conflit se traduit en grève après de très nombreuses négociations infructueuses.
4. Pourquoi autant de recours à la justice maintenant ?
Auparavant “simple” outil de pression, de chantage, les astreintes ne servaient qu’à forcer la décision dans un sens plutôt qu’un autre. Désormais, elles contribuent également à mettre les travailleurs sur la paille. Mille euros pour un jour de piquet lorsque l’on gagne 1500 euros net représentent une fortune.
La tendance à restreindre judiciairement un droit de grève mal défini en Belgique, si elle est bien plus ancienne que l’on ne peut le penser, connaît néanmoins une aggravation certaine.
Des cabinets spécialisés, comme le cabinet Claeys et Engels, proposent aux employeurs de les débarrasser rapidement de ces importuns (voir cet article très intéressant de Marco van Hees, paru dans Solidaire ). Des astreintes sont demandées avant-même qu’une action ait lieu (donc sans acte concret), comme chez Carrefour, etc. Les montants demandés sont disproportionnés. Il est certain que les négociations qui ont commencé lundi en vue de rechercher un accord interprofessionnel ((càd un accord entre syndicats et patronat, valable pour toutes les entreprises du pays durant deux ans, qui définit notamment, côté syndical des augmentations salariales, des droits à la formation, les conditions de pré-pension, etc., mais aussi, coté patronal des diminutions de cotisations pour les entreprises, des systèmes d’indexation des salaires défavorables, etc.)) ont amené le patronat à mettre la pression sur les travailleurs et à les décourager de faire grève au mois de décembre en cas d’échec momentané ou définitif des négociations. Les astreintes “proactives” ne sont donc que le reflet de l’attaque précoce des employeurs.
5. Réaction dans les milieux syndicaux.
Au-delà des protestations de la hiérarchie syndicale, et au-delà des ficelles juridiques pour s’opposer aux huissiers aux astreintes, d’autres mesures sont envisagées. Je voudrais vous en évoquer une en particulier. Un appel à signatures a été émis à l’initiative des délégations syndicales de la raffinerie Total et de l’entreprise Agfa-Gevaert, à Anvers. Une énième pétition, c’est sûr. Vous pouvez la signer à titre individuel mais également en tant que délégation syndicale (150 ont déjà signé). Et c’est sans doute là que se situe l’intérêt du projet : les délégations signataires pourraient par la suite entrer en contact et réagir de concert si un huissier venait à pointer le bout de son nez dès la prochaine grève. Ce n’est pas une garantie, mais sait-on jamais…